octobre      novembre       décembre      janvier      février      mars      mai       juin
 
La petite boite…..par elle-même,

Je suis un morceau de  bois, oublié dans l'atelier dans les parcelles de poussière qui dansent au soleil.
Je sens une brûlure brutale, on m'arrache des morceaux ; dans les rires et les plaisanteries des jeunes apprentis on me soumet à une longue torture ; débité, poncé, gratté, je ne sais plus ce que je suis…
Me voici, reconstitué, transformé, méconnaissable, qui suis-je ? Où vais-je ?
A peine le temps de me re-connaître que des odeurs étranges m'assaillent. Je suis chatouillé par des petits poils mais cela laisse une douceur laiteuse sur laquelle on applique des feuilles d'or. C'est chaud, precieux. Mais les bavardages cessent  ce sont des mains brusques et des bavures de bleu empiètent cet or fragile.
Aie !!! Milles piques, je souffre, " ça va cesser ? " Ce petit imbécile après avoir gravé des marguerites n'est même pas capable de leur poser le coeur au centre ! De quoi j'ai l'air maintenant ?
Musique de menuet, bruissement de soie, compliments murmurés…des petites mains légères, un parfum de rose, un rire en cascade ;je sens que je vais aimer cette vie.
Dans mon ventre, de l'or, du corail, des perles, et de la poudre qu'elle a porté. J'en suis sur, elle m'aime et me confie ce qu'elle a de plus cher.
Pourquoi ce froid soudain, ces paroles aigres, moi une vieillerie ? On préfère des objets clinquants en nacre …Oublié, seul, je rumine les années passées, en éternuant à cause le la poussière. Je me ride, je me fatigue, j'ai même perdu un éclat et dans les angles l'or s'effrite…
" My god ! " Qu'est ce que cette langue, loin des intonations chantantes que j'ai toujours connues ? Enfermé dans le noir, au milieu de chaussettes et de cravates, à coté d'escarpins, ballottée dans tous les sens je vis des choses bizarres, inexplicables… Si encore il n'y avait pas cette odeur de naphtaline ! J'ai mal au cœur, je deviens verdâtre, je le sens.
Maintenant plus de soleil, fini l'odeur des glycines et de la fleur d'oranger. Tilleul, thé, ambiance feutrée…De quoi ai-je l'air posé sur ce truc en dentelle qui gratte ? Et tous ces gens qui me tripotent, ouvrent et ferment mes tiroirs…Je sens des rhumatismes, je grince, mes boutons se décollent.
Cris, sang, pleurs ….Cet individu qui pue la pipe me saisit sans ménagements. Il me déshabille, m'ausculte et me brûle avec un gros verre inquisiteur. Il gratte partout, soulève les feuilles d'or, s'insinue dans mes entrailles… Il est content, il a trouvé un peu de poudre de ma princesse florentine, mon seul trésor que je cachais dans une fente.
Dans le froid, derrière une vitre sans aucune main pour me toucher, me caresser, voici que je suis obligé d'écouter les menteries de ce raseur qui s'écoute parler et répète ses sornettes. Quand vais-je sortir de là, respirer l'air du dehors ? Au secours ! Des petits vers attaquent ; des champignons menacent !
Il ne vient plus discourir, on n'allume plus, il fait de plus en plus triste, je  m'écaille, des tas de sciure m'échappent…
Petites mains crasseuses, langue gutturale, enfin on me parle -à moi. Petite je t'offre mes tiroirs, range y tes trésors, tes petits papiers, je les garde au chaud. Dehors il fait humide, la suie se colle à mes ors, je t'attends au creux des pierres.
Qu'est ce que ce chambardement ? Je n'y vois plus rien, aveuglé par la lumière, anesthésié par la poussière, j'étouffe…Je passe demains en mains et voici qu'on me soigne. Les couches de crasse sont nettoyées, douce odeur de cire. Je deviens le gardien des poudres, du rouge à lèvres et de ces morceaux de fer qu'elle glisse dans ses cheveux. Je capture quelques cheveux, des paillettes de poudre dorée. Tous les mois elle m'époussette et la vie coule, paisible…
Courants d'air, bruits qui résonnent voisins qui pérorent…Tableaux, chaises, édredons ils disent tous qu'ils ont été abandonnés. Parfois l'un d'entre eux s'en va…
Me voila entre des mains féminines. Elle me souffle dessus, me caresse, et me glisse dans un espace clos avec des bouquins qui font les savants et un parfum bizarre…du patchouli parait il …
De l'air et enfin du soleil .Il me semble que ça ressemble à  Sienne. Dans une langue qui chante, j'apprends que je suis à Toulouse, la rose…
Et maintenant ces vieilles mains qui tremblent…cette voix rocailleuse et cette érudition. Ce qui pue à coté il dit que c'est une peau de crocodile et derrière il y a un morceau de baobab d'Afrique ! On m'a confié des petites choses dures,  pointues, plus vieilles que le savant, plus vieilles que moi, qui parlent de grottes, de bêtes féroces et de glaciation.
 Au 2ème, il y a des locataires fragiles qui fabulent : Ils disent être légers comme l'air et être capables de voler !!!
Au sous- sol, c'est lourd mais c'est le poids de l'histoire en marche. : Ils faisaient partie d'un grand corps qui a été détruit à coups de hache et ils en sont fiers !!!
Des pinces de fer, aucune parole, des lumières aveuglantes, on me radiographie, on me scanne, on me vole mon passé…
Sans les mots, sans les odeurs, sans les sensations, que peuvent ils comprendre ?
 
Yveline.

 
Ce petit coffre, si mignon, si attirant, je vais vous le décrire.
Je le regarde et il me parle.
Il n'est pas parfait et c'est bien ainsi.
Il a une histoire, son histoire.
Cela fait deux siècles et demi qu'il est touché, tripoté et trimballé.
Ses traces, ce sont ses blessures comme nos rides font notre histoire.
Tout d'abord, il est petit.
Il est arrondi, ce qui le rend doux à regarder.
Il me paraît tendre, gentil.
Voilà, c'est un gentil coffre.
C'est un coffre qui a contenu  de la tendresse des objets précieux, des bijoux de famille.
Tiens  il reste une boucle d 'oreilles dans le tiroir du bas: à quelle comtesse a -t-elle pu appartenir, cette boucle d'oreilles en or ?
A quelle occasion a-t-elle mis cette boucle?
Est-ce pour le bal de l'empereur qui avait lieu chaque année?
Ou alors pour séduire son amant du jour?
Tiens, il manque un bouton au 2ème tiroir et il faut l'ouvrir avec une clé qu'il faut glisser dans ce petit trou

 
michèle D
Petite boite imitation commode avec trois tiroirs en façade. Couleur : bleu et or. Les poignées des tiroirs ont perdu leur dorure. Il manque les quatre pieds. Elle fait vingt centimètres de large pour quinze de haut et dix de profondeur. Elle a une forme de croissant de lune. Les dorures de forme losange que l'on trouve sur le dessus et sur les côtés ont été grattées. Dans le tiroir du haut, quelques cheveux semble collés au fond. Le tiroir central sent un parfum oriental. Pour ce qui est du troisième, on trouve des résidus de sable fin et une odeur marine. Le plateau du dessus ressemble à un échiquier.
 
Malibu
 
Je suis née dans un pays où il fait chaud. Heureusement car je suis nue et le reste pendant quelques temps. Mon créateur me dorlote et me manie avec précaution les premiers temps. Il me caresse,  ce qui me fait prendre conscience de mon volume. Attentionné au départ, je le sens de plus en plus maladroit, il lui arrive de me faire mal. Peut-être s'en est-il rendu compte car il me laisse tranquille mais boiteuse, je n'ai que trois pieds. Je ne sens plus la chaleur aussi forte, je suis enveloppée par quelque chose de doux qui m'empêche d'entendre ces chansons que j'aime tant.  
Mon deuxième contact humain est différent, moins rugueux et beaucoup plus respectueux que le précédent. J'ai les tiroirs ventraux qui ont gonflés d'humidité et il a du mal à les ouvrir. J'essaie de l'aider, mais en vain. Il laisse couler un liquide visqueux dans mes rainures, ce qui me permet de respirer de tout de mon ventre, et cela sans aucune douleur. Il m'aime, j'en suis sûre. Il me stabilise d'un quatrième pied, m'habille d'une pâte liquide qui durcie en séchant ainsi que d'une matière métallique mais malléable. Je suis heureuse avec lui, il me caresse et me chante des chansons d'amour, je voudrais que ça ne s'arête jamais. Il est fier de moi et me présente à d'autres humains qui s'extasie devant moi. Je fais de mon mieux pour ne pas le décevoir. J'en fait peut-être un peu trop, car j'occasionne une dispute entre mon ami et une personne aux fines mains parfumées et aux doigts crochus. Je suis ballottée d'un à l'autre, j'en ai la tête qui tourne, je vais tomber. Soudain mon maître me soulève et je me retrouve enveloppée une fois de plus. Non, s'il te plait reste avec moi ! Je suis triste. Qu'ai-je donc fait de mal ? Ca y est je ressens à nouveau la chaleur quand on retire le tissu. Je suis excitée à l'idée de le revoir, mais quelle déception quand je ressens les doigts crochus sur mon corps. Lui, je le déteste et je vais bloquer mes tiroirs tant que je peux. Ami, mon ami où est-tu ? Je pleure.
 
malibu
Le contact humain de mon créateur est rugueux et précis au départ. Maladroit et tremblant par la suite, il me fait mal. Je le perd, tant mieux !
Le contact humain de celui qui me finit est plein de vie, d'amour et de respect. Il m'habille en chantant des chansons et se bat pour me garder. Il meurt, je voudrais le rejoindre.
Le contact humain de mon voleur parfumé m'écoeure. Je résiste de tous mes tiroirs.
Le contact humain du collectionneur niçois est très bref. Vue de tous, on ne peut cependant me toucher, je me sens abandonnée.
Le contact humain du travailleur immigré me sort des gravats et me redonne la vie. Sa femme me nettoie et remplie mes tiroirs d'objets aux odeurs inconnues. Je me sens enfin utile.
 Le contact humain de mon ami actuel se fait rare, je m'ennuie.
 
malibu
 
 
 
Le coffret aveugle
 
A l'aube d'une toute nouvelle journée, et suite à une longue nuit noire et profonde - nuit qui m'a paru durer des siècles et des siècles- avec des essais interminables, des retouches minutieuses, des abandons bruyants, des reprises enthousiastes, des cris de rage, des soupirs d 'énervements et des litres de sueur, je viens enfin d'apparaître en pleine clarté des mains à la fois calleuses et expertes de mon maître- créateur je veux parler du sieur Guiseppe Mortolini.
D'où viennent toutes ces sensations nouvelles que je ressens si fortement et qui me sont totalement inconnues?
Qu'est-ce donc que cette chaleur que je ne sens que d'un seul côté de mon corps?
Qu'est-ce donc que ces craquements étranges et irréguliers?
Et ce bruit de tic-tac, très régulier, à qui appartient-il?
Et cette odeur envoûtante que je sens tout autour de moi et qui m'enveloppe d 'où vient-elle?
Que ce monde nouveau est dérangeant!
Et pourtant, malgré toutes ces bizarreries je ne crie pas, je ne m'affole pas-enfin, pas trop-
je sens quand même mon cœur de petit coffre battre un peu vite- et j'attends patiemment la suite des évènements.  Et c'est mon maître Guiseppe qui va pousser un immense" Ma Ma Mia !!!! ".
Et de me tourner et retourner dans tous les sens pour voir s'il ne me manque rien, si tous mes tiroirs sont bien placés, si tous les angles sont bien arrondis, si mes quatre pieds sont bien solides et si -enfin- je fonctionne vraiment comme un coffre vénitien digne de ce nom.
Eh! oui, je suis un petit coffre doré à l'or fin, peint dans des tons de bleu turquoise, enforme de
croissant de lune et avec trois tiroirs. Je suis destiné à la très chère épouse de Monsieur Guiseppe Mortolini et je suis ainsi un tendre petit coffret.
Je vais enfin pouvoir commencer une vraie vie de coffre vénitien.

Et voilà que les mains habiles et rugueuses de mon maître Guiseppe m'enveloppent et me placent dans une matière soyeuse et qui crisse sous ses doigts: c'est tout doux comme nouvelle sensation!
Mais, très vite, je me sens à l'étroit et en plus, Guiseppe pour finir, m'entoure avec un matériau qui me serre beaucoup!
Au secours! J e n'entends plus rien, je ne sens plus rien et je commence même à étouffer. Que se passe-t-il ? Où suis-je? Que vient de me faire mon maître adoré? Pourquoi me fait-il souffrir?
Je ne sais pas ce que l'on m'a fait, je ne connais pas les matières dans lesquels on m'a enveloppé, je démarre tout juste dans ma vie de coffre! Non seulement je me sens mal et à l'étroit mais en plus c'est l'inconnu complet, ce nouvel univers dans lequel j'ai du mal à respirer.

Heureusement que je ne reste pas trop longtemps dans ce papier cadeau, entouré de ce bolduc qui m'emprisonne- je l'apprendrais  plus tard au cours de ma très longue vie mouvementée de coffre qui va voyager dans plusieurs siècles.
J'avais oublié de vous le préciser: je suis un coffre claustrophobe!
Je dois respirer, ouvrir mes tiroirs, les refermer, changer de place et cela très souvent.
J'aime changer d 'endroit: je vais d'ailleurs en avoir souvent l 'occasion, c'est passionnant une vie de petit coffre, vous allez vous en rendre compte.

Donc, je suis enfin délivrée par des longues mains douces qui dénouent délicatement ce que j'apprendrais plus tard être un ficelle pour papier cadeau.
Et c'est une voix aiguë et douce qui va pousser un cri de joie devant ce cadeau d'amour:" Oh! qu'il est mignon! Quel merveilleux petit coffret! Oh! Que c'est gentil, Guiseppe ! "
Et là, j'entends un bruit de frou-frou ( c'est Mme qui se déplace) et un bruit de godillots qui se rapprochent et  puis, j 'entends le silence, eh!oui!, moi je suis privilégié ,je peux l'entendre!
Et un ange passe et il y a du bonheur dans ce petit bout de temps qui s'arrête.
Les froufrous et les godillots se sont beaucoup rapprochés tout doucement et j'entends des tas de petits bruits assez indéfinissables:je ressens simplement que tout s'est détendu autour de moi et que le bonheur est là, simplement là ,dans la pièce où je me trouve avec Mr et Mme Mortolini.

Et puis, la suite, je ne peux pas vous la conter car il y eu des petits bruissements des couinements, et puis, j'ai bouché mes oreilles de petit coffre pour ne pas être indiscret. Et puis, je suis trop petit encore, ce n'est pas de mon âge, je n'ai pas tout compris et vous, vous êtes trop pudique pour m'en demander plus.
Et après, me direz-vous? Que s'est-il passé ?

Et bien, j'ai continué  ma vie de petit coffre confortablement installé sur la table de chevet de Marietta Mortolini.
Tous les matins, Marietta m'ouvre doucement me met des jolis bijoux dans mes tiroirs- oh! Le doux bruit de l'or dans le tiroir! - et me referme très délicatement . ElIe prend soin de moi, Marietta, elle m' époussète très souvent avec son plumeau et je me sens beau comme un sou neuf Je suis bien dans cette chambre et elle parle souvent de moi: je me sens bien quand je l'entends parler de moi. Je suis très aimée dans cette demeure. J'y coule des jours heureux. Mais, pourquoi, Marietta, un soir, s'est-elle mise à gémir tout doucement puis de plus en plus fort ?
Elle s'était couchée et elle gémissait de manière désordonnée je n'avais jamais entendu ce bruit dans ma vie encore assez courte de petit coffre vénitien .Je suis à côté d'elle et je ne peux rien faire car je sens bien que ce ne sont pas des bruits de bonheur Je l'entends souffrir et c'est dur d'entendre souffrir les gens que l'on aime.
Et un matin, le bruit ne me parvient plus et Marietta ne parle plus, ne gémit plus et ne respire plus. Je me sens déplacée et les mains rugueuses de mon maître Guiseppe me déposent délicatement dans le couloir où je vais entendre des voix nouvelles et des pas inconnus et où je vais souffrir de courants d'air incessants et des portes qui claquent: je ne me sens pas bien car je suis dans un endroit de passage et personne ne s'intéresse plus à moi.

Quelque temps plus tard, alors que je crois que l'on m'a oublié, les mains crispées de Guiseppe me prennent et me déposent dans une main toute gantée, une main jeune. J'ai déjà entendu la voix qui correspond à cette jolie main toute fine du temps de ma maîtresse Marietta Guiseppe . Je me souviens du prénom de Luisa: ce n'est donc pas tout à fait une inconnue. Et je sens que je sors de la maison de Mme Mortolini car le froid me saisit très brutalement et je me recroqueville dans la main de Luisa .Et je découvre ma nouvelle résidence et la nouvelle vie qui m'attend.
Pourquoi cette jolie main gantée n'ouvre plus mes tiroirs qui ne demandent que ça ?
Un petit coffre adore être ouvert, rempli, vidé, nettoyé, épousseté.
Et pourquoi est-ce que je me retrouve dans le noir dans une immense commode?
Oh! que le temps me paraît long!
Je ne ressens rien ou presque rien, j'ai l'impression d 'être anesthésié j'étouffe même un peu et je n'ai que l'odeur du linge propre et repassé pour me tenir compagnie.

Un beau matin, enfin, je ressens une secousse un peu brusque et je suis sortie de la commode par une main qui me retourne dans tous les sens. J'entends une voix assez banale et sans intonation particulière: je ne ressens pas de chaleur particulière dans cette voix monotone. Il faut dire que je suis un coffre aveugle mais je suis devenue très doué pour reconnaître les différentes voix et pour comprendre les émotions qu'elles expriment.
Cette main aussi insignifiante que la voix me tâte et semble ne pas savoir quoi faire de moi: elle me pose et me dépose à  plusieurs endroits différents sans jamais trouver le bon.

Quelques jours plus tard, je sens que je change de maison car je retrouve les sensations du monde extérieur-le vent, le froid, plein de bruits, des cris, ...etc. - et enfin, je me retrouve dans une nouvelle demeure toute propre :je la sens l'odeur de la propreté .Ici, je sens l'encaustique un peu partout et il y a très peu de bruit.
Je viens d'arriver chez Mme Mélanie Ameretti :je vais apprendre son nom car son fils vient souvent la voir et la complimente sur ce petit coffret reçu en cadeau.
Mélanie a une belle voix posée, charmante, et calme: il lui arrive même parfois de fredonner des ritournelles ou des berceuses et c'est beau à entendre .j'aime me laisser bercer par ces douces mélodies quand ma nouvelle maîtresse se coiffe devant sa table de toilette. Il faut dire que je suis encore installée dans la chambre - pièce privilégiée s'il en est une - et j'entends parfois des tas d'autres bruits - durant  mes nuits d'insomnies- eh!oui! Un petit coffre peut avoir lui aussi ses angoisses- comme des ronflements, des ablutions et aussi des litanies au moment de la prière du soir.
Et je recommence une nouvelle vie de petit coffre tendre avec des tas de bijoux qui sont installés tendrement dans mes petits tiroirs. Ma nouvelle maîtresse m 'a mis du satin dans le fond des tiroirs pour que je n'ai pas mal quand elle dépose ses bijoux. Je suis traitée avec de la douceur, de la considération et beaucoup d 'égards je suis dépoussiéré tous les jours et mes tiroirs sont tirés avec délicatesse Je me sens revivre comme un objet très précieux.
Pourquoi faut-il que je réentende comme un leitmotiv le râle de la mort qui s'approche de nouveau?
Pourquoi Mélanie est-elle en train de s'éteindre tout doucement?
Et j'entends - à côté du lit de Mme Ameretti -la voix de son fils Alfonso qui lui parle tout
doucement et qui l'accompagne dans ses derniers instants.
Je sens la chaleur des bougies qui veillent Mélanie Amaretti , j'entends les prières et les chapelets des voisines qui sont venues pour la veillée funèbre et je sens l'odeur de l'encens quand le prêtre est venu délivrer l'extrême-onction.
Je reste tranquille et je veille moi aussi pour le dernier voyage de Mme Amaretti.
Je vais être oublié sur ma table de chevet pendant quelques jours et je me sens maintenant bien seul et triste dans cette chambre vide.

Un matin de printemps, quand le soleil commence à apparaître à travers les rideaux entrouverts je suis saisi par une main velue et sans aucune délicatesse. Je sens que je me retrouve dehors et j'entends le hennissement des chevaux. Je me retrouve ballotté  et tout va très vite.
Je me retrouve dans une grande pièce que j'identifie comme étant un salon- je reconnais les pièces maintenant car je suis un coffret qui existe depuis presque un siècle maintenant - et je suis dans un univers fermé, hostile, presque agressif: il fait froid dans cette pièce où la main velue m'a déposé sans ménagements.
Je suis au milieu de cette pièce, je n'ai pas de place précise, je suis juste posé là comme un vulgaire objet: je n'ai pas de vie propre. J'entend des tas de bruits différents, de verres qui s'entrechoquent, de paroles rudes des appels, de pas de toutes sortes: bref je n'ai aucune intimité et je suis au milieu d'une famille peu chaleureuse.
Et c'est une famille nombreuse dans un appartement assez exiguë: il y a des enfants qui courent, se disputent, se battent et se chamaillent;il y a un chien qui gémit et gratte les meubles et le tapis.
Il y un homme, ce doit être le mari, qui est toujours pressé et qui ronchonne souvent et enfin, il y a une brave femme, la mère je suppose, qui est débordée du matin au soir et qui s'occupe tout le temps et de tout le monde.
Et au milieu de tout ce brouhaha, personne ne s'occupe de moi ni de la brave femme non plus d'ailleurs. Je me sens abandonné dans ma nouvelle famille d'adoption,  complètement et lamentablement abandonné!! !
Et ne vois-tu pas qu'un jour - qui ressemble à n'importe quel autre jour - sur mon buffet, au milieu de ce salon, j'ai entendu les mêmes bruits d'amour comme le jour de ma naissance . Là, j'avais grandi un peu quand même et j'ai reconnu les soupirs d'aise et de contentement: mais ce qui m'a paru bizarre, c'est que je n'ai pas reconnu la voix de la brave femme! Et pour cause!! Un bruit de charentaises m'avertit qu'une troisième personne non invitée aux festivités vient d'apparaître:un bruit d'assiettes cassées des hurlements des cris stridents s'ensuivent.
Je me fais tout petit sur mon buffet je ne suis qu'un petit coffret vénitien d'accord mais petit tout de même.
Bien m'en pris car un sifflement se produit près de mes oreilles et la soupière de belle-maman vient s'écraser tout près de moi.

Un peu plus tard, une fois le calme revenu, les mêmes charentaises reviennent et se rapprochent dangereusement de moi: je suis alors soulevé sans égards pour mon âge avancé et je sens que la main gantée est empreint d'une violence inouïe.
Je suis alors enfermé- encore dans un contenant tout mou- ce doit être un vulgaires sac à provisions et je sens d'ailleurs un relent d'odeur de poireaux qui chatouille mes narines.
Et me voilà reparti, je suis trimballé, sorti du sac, remis dans le sac soupesé tripoté, examiné sous toutes les coutures Je suis devenu une simple marchandise et cela me stresse.

Enfin, je me retrouve dans un endroit calme-je suis devenu une marchandise mais j'ai droit à des égards vu mes états de service précédents - et je suis manipulé avec délicatesse par un vieux monsieur qui s'occupe de moi:c'est un antiquaire romain qui adore ses antiquités et il a du mal à les vendre car il y est attaché: c'est un crève-cœur le jour où le petit coffret est racheté par un collègue de Paris. Mais, bon, l'antiquaire pense que le petit coffret vénitien va avoir l'occasion d'aller voir la plus belle ville du monde et il est content pour lui.

Je me retrouve dans un endroit tranquille, un peu poussiéreux un peu sombre, au milieu d'autres meubles c'est très reposant après ce grand voyage entre Rome et Paris, enfermé de nouveau dans un grand sac de voyage.
Il y a d'autres meubles à côté de moi et dés que la nuit tombe, nous nous parlons ,en fait, nous chuchotons mes nouveaux amis sont les deux grandes armoires normandes une jolie bonnetière, une superbe horloge, une commode Louis XV ,un canapé en cuir et une très élégante table de toilette en bois exotique Je suis le plus petit et tous ces meubles anciens m 'ont pris sous leur protection. Toutes les nuits, dés que l'antiquaire très âgé et très doux est rentré dans sa vieille maison, nous devisons gaiement et nous nous racontons toutes nos aventures. Parfois elles sont cocasses mais nous faisons attention de ne pas rire trop fort car nos boiseries sont un peu ébranlées.
Parfois, ce sont des épisodes plus tristes et nous nous consolons mutuellement.
Tous les matins, nous souhaitons toujours qu'aucun acheteur ne vienne nous séparer et nous enlever à ce vieux monsieur bienveillant et qui ne vend pas grand chose.
Je suis bien là ,je veux qu'on m'oublie, je veux rester avec ma nouvelle famille et je me sens bien protégé:j' ai déjà bien bougé dans ma vie de petit coffre, j'aimerais bien rester là.

Et patatras un jour, une voix aigrelette s'approche de moi et je sens une main gantée de cuir me saisir: c'est une sensation étrange qui me saisit, non pas de froid mais plutôt de peur car c'est l'inconnu de nouveau. La dame pousse des petits cris aigus et peu rassurants Ses doigts me tripotent avec fébrilité et nervosité.
Que vais-je devenir? Je suis arraché à ma nouvelle famille, je n'ai pas le temps de leur dire adieu que déjà, je suis enveloppé dans du papier de soie, avec le bruit trop familier des écus dans le tiroir caisse: plein d'écus tombent dans le tiroir de l'antiquaire. Je ne savais pas que je pouvais avoir autant de valeur! ! !
Et je me retrouve dans un univers tout feutré, une sorte de boudoir et j'entends souvent des petits cris aigus et qui se veulent admiratifs, je suis au milieu du boudoir et je suis simplement un objet de décoration, une sorte de potiche en quelque sorte!
J'entends des bruits de cuillères à thé, des chuchotements, des cancans qui m'exaspèrent au plus haut point: mais, bon, je suis au chaud, je suis dans une demeure riche, mais je ne suis qu'un objet. Je me sens très seul. Je crois me souvenir que l'on m'a changé de pièce un jour et que je me suis retrouvé dans une chambre mais cela n'a pas duré trop longtemps.
Après, c'est l' isolement total, l'oubli et l'enfermement pendant une période très longue: je crois que j'ai dû m'endormir ,je me sens une âme de la Belle au Bois Dormant!!

Et ,une après-midi d 'hiver, une adorable petite frimousse rousse se penche au-dessus de la vieille malle dans lequel je m'étais endormi. C 'est une petite voix d'enfant toute douce , toute fragile que j'entends au dessus de moi car je suis rangé au milieu de vieux jouets, de vieilles dentelles et de vaisselle ébréchée Une petite main toute menue va me soulever de ce fatras et me faire surgir une nouvelle fois - une renaissance peut-être- et je suis regardé admiré, réparé, épousseté par cet adorable enfant surgie comme par magie.
La petite Lucia va m'installer dans sa petite chambre où sont installés des tas de Poupées Barbie toutes plus belles les unes que les autres:il faut dire que Lucia en fait collection et que sa maman lui en ramène le plus souvent possible. Lucia n'est pas une enfant gâtée ne croyez pas cela, c 'est plutôt une enfant que la vie n'a  pas gâtée justement, c 'est  une enfant malade et sa maman cherche à lui donner du plaisir pendant qu'elle est encore là.
Et moi, le petit coffret vénitien, qu'est-ce que je deviens dans tout cela, au milieu de toutes ces princesses-poupées?
Eh! bien, je vais recevoir garder conserver tous les habits de nos poupées et je vais y faire très attention:je ne veux pas que les habits soient froissé alors, j'ouvre mes tiroirs le plus grand possible pour que la petite menotte de Lucia puisse placer délicatement les parures de ses jolies amies.
Et Lucia chantonne- oh!pas trop fort, car elle n'a pas trop de souffle - et elle parle aussi  à ses poupées elle me parle aussi:  des fois, elle est triste, à ce moment là, elle me parle beaucoup à moi et je suis tout ouie, je tourne mes tiroirs vers elle, je me penche un peu vers elle et le temps passe ainsi et je sais qu'elle a un peu moins mal et moins peur aussi.
Elle sait que le temps est compté elle ne veut pas que sa maman la voie pleurer alors elle me parle, elle sait que je serais muet comme une tombe, elle sait que je suis son ami, qu'elle peut avoir confiance.
De jour en jour, sa voix devient plus cristalline et moi aussi, je sens que je m'affaiblis, mes pieds de petit coffret deviennent plus fragiles.

Maintenant ,Lucia ne quitte plus son lit et je suis à côté d'elle sur sa  table de chevet:sur son lit ,sa maman a placé toutes ses poupées Barbie ce qui fait un peu ronchonner le médecin quand il vient pour l'examiner: mais, bon, on lui pardonne c'est un homme et il ne veut pas montrer sa  tristesse de voir partir sa petite malade préférée ,alors, il râle un peu pour la forme, un homme ,ça ne pleure pas, un homme ça ne lave pas les yeux!!!
Je me sens bien à côté de Lucia, je suis avec elle et je suis tellement en osmose avec elle que je décline avec elle et mes forces me trahissent :j'ai de plus en plus de mal à ouvrir mes tiroirs.
Un soir, j'ai entendu, au lointain, les mêmes râles qu'il y a bien longtemps au tout début de ma vie de petit coffret vénitien - vous vous souvenez quand ma maîtresse s'appelait Marietta Mortolini, moi, je ne l'ai pas oublié car elle était vraiment la plus gentille des femmes - et je les ai entendu très loin ces râles caractéristiques car moi aussi je partais aussi très loin au pays où les enfants n 'ont plus mal.

il n'y a plus de peur, il y a juste une sorte de lumière plus douce, les couleurs ont du s'adoucir pour Lucia et elle a pris son envol. Moi, j'ai attendu un peu pour être sûr qu'elle était bien et je me suis envolé à mon tour.
Vous, vous avez dû voir pleurer la maman de Lucia, maman qui avait oublié de fermer la cage de son enfant oiseau.
Vous, vous avez dû voir la maman de Lucia me prendre ,moi, le petit coffret vénitien et me mettre dans la boite en bois ,autour des bras de la petite fille.
Vous, vous avez dû voir la boite se refermer et le long cortège tout noir et les fleurs, et les pleurs et les serrements de mains et le prêtre...etc.
Lucia, la petite fille d'origine italienne, moi, le petit coffret vénitien, tout cela ne nous intéressait déjà plus et nous sommes partis main dans la main.
Nous reviendrons vous voir de temps en temps mais nous serons peut-être devenus des lutins, des elfes, des fées ,que sais-je encore, mais nous sommes juste dans la pièce à côté. Au revoir.
 
Michèle D