48 heures de voyage, me voila dans un monde qui m’est
complètement inconnu…Lumière et parfums méditerranéens. Je ne sais pas ce que
je fais là, devant cette fameuse maison qui est sensée être la mienne…
Bâtie de grosses pierres grises, austère, étroite et haute au
milieu des ronces et des fougères. Une vieille porte de bois s’ouvre en
grinçant quant j’introduis la fameuse clef, à l’origine de ce voyage
insensé… Qu’est ce que je fais là ? Épuisé je n’aspire qu’au
repos.
La porte s’ouvre et je sens que je me trouve mal : il y a
des toiles d’araignée, ça sent le rat et la poussière. Il doit y avoir des
microbes partout… Vite dehors, de l’air…Dehors les odeurs de maquis, les
cistes en fleur et des abeilles qui dansent dans le soleil matinal sur la
montagne corse…
La fatigue et le découragement me tombent
dessus : Je m’aperçois qu’il ne reste quasiment plus rien du
hameau de Scandolla (dont je porte le nom) ou est normalement située cette
maison étrange. Avec les 5 km de piste envahie par les ronces qu’il m’a
fallu parcourir pour arriver, j’aurai pu m’en douter ! Seule, hautaine,
elle se dresse derrière moi. 3 étages, des fenêtres étroites fermées par ces
persiennes caractéristiques du sud…elles ont du être bleues autrefois. Il me
faut rentrer à nouveau à l’intérieur, ouvrir les fenêtres pour faire
rentrer l’air, le soleil et si possible un peu des parfums du maquis.
Si au moins j’avais un masque…Je noue un mouchoir sur ma bouche. Dès
l’entrée une grande pièce, j’essaye à tâtons de trouver les fenêtres, ébloui par
la lumière extérieure…Heureusement, elles s’ouvrent aisément mais j’ai eu très
peur quand j’ai touché le vieux rideau effiloché accroché aux vitres. Avec la
lumière je découvre les lieux : Une grande pièce commune avec une table
de bois massive, un fourneau, dans les murs des niches pour ranger la vaisselle
et une cheminée de pierre.
Sur la cheminée il y a des pots en faïence, farine, sel,
allumettes…un petit détail me rend soudain un peu plus familier cet
endroit : Dans le plus grand des pots il y a une petite babouchka
russe en bois, peinte de couleurs vives : protégée par le pot, elle a gardé
ses couleurs, seul, le vernis est un peu craquelé. A travers des
milliers de km je retrouve un peu de mes origines : elle me ramène à la
Volga, à saint Petersbourg, je sens le froid vif des glaces de la baltique et
perçois l’odeur du thé du samovar…
La babouchka -comme c’est la tradition -s’ouvre par le
milieu. Elle me tient chaud dans ma main, seule chose qui me semble
familière et exempte de poussière. Pourquoi ai-je regardé dans ces vieux pots
sur la cheminée ? Il y a tant de travail à faire pour rendre vivables
ces lieux, tant à découvrir dans cette maison qui semble s’être endormie d’un
coup de baguette magique…
Contrairement à mes habitudes, je laisse les choses à
ranger la poussière et ce désordre insupportable à mes habitudes d’ordre
et mes allergies… Sans souci pour mes vêtements je m’assoie sur le
banc, les coudes sur la table et j’ouvre la babouchka. Elle est assez
grosse et lourde…alors que je m’attends à y découvrir d’autres figurines
emboîtées les une sur les autres, elle s’ouvre sur une série d’enveloppes
roulées en spirale attachées avec un ruban. Il y a aussi des fleurs de la
saint Jean qui tombent en poussière.
Fébrile, je sors le paquet et trouve une petite boite
ronde …elle semble être en or, ternie par le temps…elle est fermée par un
minuscule mécanisme. C’est un de ces médaillons que les femmes
portaient autour du cou et dans lesquels elles conservaient une photo ou une
mèche de cheveux. La boite me glisse des doigts, tombe au sol, et part
en roulant ….
J’ouvre un paquet plus épais : Un homme âgé aux grands yeux
noirs me regarde : un frisson me parcourt l’échine, en tremblant je repose
cette image maudite contre la table pour ne plus la voir : j’ai cru me voir
avec 20 ans de plus…
Comment puis- je être sur cette photo, dans cette maison
inconnue, dans un temps futur ?
Ce ne peut être que moi avec cette tache de naissance que
je tiens de ma mère et de sa famille, les Petrovna… Au moins j’y vois le
signe que je vais vieillir, que je ne mourrai pas jeune de ces maladies qui me
guettent et m’angoissent.
Au dos de cet objet maléfique est écrit un texte que je regarde
de loin, le souffle court. Encre violette, calligraphie soignée on
dirait qu’il a été écrit il y a plus de 50 ans, mais la structure des phrases et
les mots semblent modernes. Je suis sur que jamais les
surréalistes n’ont pu venir jusqu'à ce hameau oublié ou à l’époque on ne parlait
que le corse, de toutes façons…
Les gestes automatiques… Voler en courant les bras écartés
…. Exploser, l’eau en gerbe De feu, le liquide chaud Petites
fourmis. Arriver en bas, hésiter… Remonte comme l’enfance Même s’il
faut
J’ai l’impression d’être dans un roman d’Agatha Chritie. C’est
sûrement un message secret. J’essaye de déchiffrer : 1 lettre sur 5, un mot
sur 2, de lire en vertical, rien n’y fait….
Les gestes automatiques qui remontent comme l’enfance…même s’il
faut, les bras écartés …l’eau en gerbe…. Est-ce que cela parle de moi,
comme la photo ?
On dirait pourtant….cela évoque quelque chose de ma petite
enfance quand j’étais tombé dans le fleuve glacé… Depuis j’écarte les bras en
passant sur les quais pour l’équilibre et pour conjurer le sort… Jamais pu
guérir de ces gestes stéréotypés. Même si le psy disait que cela
expliquait peut être mes angoisses maladives. Comment cette intimité secrète
peut elle être ainsi décrite au dos de cette photo ou je suis un vieillard, dans
cette maison abandonnée ?
Un jour un lointain ancêtre a du partir d’ici et a tout fait
ensuite pour que ses descendants ignorent tout du lieu d’où il venait et les
raisons de cet exil.
Trop de questions, trop de mystère. Je croyais trouver des
éléments de mon histoire familiale et je nage dans l’inconnu, dans des abîmes ou
je me pers…. Je suis venu chercher l’histoire des miens et c’est moi que je
trouve avec mon passé éclopé et mon avenir incertain…
Ouvrir d’autres enveloppes.
Dans l’une d’elles, une autre photo, moins inquiétante ; ce
ne peut être moi puisqu’il s’agit d’une femme ! Habillée de
noir, sourire en coin, assez plantureuse, elle pose sur un banc ouvragé, une
causeuse je crois. Elle semble assez prospère, pour la photo elle a mis ses
bijoux : boucles d’oreilles, montre, bagues et autour du cou un médaillon,
le médaillon ! Je suis sur que c’est celui qui a roulé tout à
l’heure !
La photo est ancienne, elle doit dater des années
20… .On pourrait avancer l’hypothèse que c’est la dernière occupante de la
maison. Elle serait allée chez le photographe un jour de marché…rassurant…
Ordinaire…Je me sens mieux !
Je m’enhardis, ouvre un papier jauni…Tiens un
poème ? Enfin un poème…avec tous ces pronoms relatifs !
Regarde devant lui que je suis grand Regarde devant elle que
nous sommes petits Regarde devant eux combien nous sommes laids L’âme qui
gît mort sous le chêne L’arbre où je vis sans rien dire Moi devant sous le
jour, lucarne Cette fois brûlant un étang de larmes Viens car moi je suis
laid aussi.
Qu’est ce que cela veut bien dire ? Je préférais la
dame en chignon de la photo… Je l’appellerai Rosetta, elle parlerait
corse… Je crois deviner…Ce poème est traduit mot à mot du corse !! Je
sais ! Il parle de Napoléon : Regarde devant lui que je suis
grand Regarde devant elle que nous sommes petits Tous les bonapartes
étaient petits. Napoléon se croyait grand avec ses rêves de pouvoir.
Regarde devant eux combien nous sommes laids Il doit s’agir
de la campagne d’Egypte et le choc des découvertes….
L’âme qui gît mort sous le chêne C’est Waterloo, Napoléon qui
croyait avoir la force du chêne y a été battu.
L’arbre où je vis sans rien dire Moi devant sous le jour,
lucarne Cette fois brûlant un étang de larmes Logique, tout s’éclaire, il
s’agit de l’exil à Sainte Hélène.
Viens car moi je suis laid aussi Il me semble qu’il a eut un
fils dégénéré, l’aiglon….
Ces vieux papiers ont-ils à voir entre eux quel est leur
lien avec moi ? Pourquoi les avoir ainsi dissimulés et quel est le lien
avec Napoléon ? Napoléon est né à Ajaccio et la Berezina c’était
en Russie, d’où je suis venu -après avoir reçu cette clef …Mais tout cela
est trop ténu, n’a pas de sens….
Seule chose qui me reste a faire : chercher le
médaillon. A 4 pattes dans la poussière du vieux parquet…Une souris m’arrache
un cri de terreur lorsque son ombre me frôle… Je lève le nez : par la
fenêtre ouverte, l’embrasement du ciel, les ombres s’allongent, déjà le
soir. Il va faire nuit, je n’ai pas mangé ni dormi depuis des heures et je ne
puis retourner dans la vallée, il va falloir dormir ici… Il doit y avoir des
chouettes, des chauves souris et pas de lumière… Mais je dois comprendre. Je
suis sur que le médaillon renferme la solution. Le crépuscule
s’avance et je ne trouve toujours rien…
Dans le placard du mur il y a des chandelles, des allumettes.
Pas d’humidité en corse au mois de mai et j’arrive à les allumer une à une.
J’illumine la pièce avec toutes les bougies et reprends mes
recherches ;
Cet éclat sous le vaisselier, le médaillon est
là !
A la faible lumière j’ai du mal à actionner le mécanisme. Une
feuille fine comme du papier à cigarette en tombe, blanche !
En l’approchant de la flamme de la bougie des caractères
apparaissent sous l’effet de la chaleur…une encre sympathique ! Je vais
savoir ! Une série d’équations à 2 ou 3 inconnues. Le théorème
de Fermat ? La formule de la relativité d’Einstein ? J’aurai du
être meilleur en maths je pensais que cela na servait à rien, je préférait les
mots, la poésie et l’art… Ce sont des lettres, toutes celles de l’alphabet…
(Le romain, pas le cyrillique). Elles sont à la puissance n et le total
des 2 premières est égal à la troisième… Ok mais le sens de tout ça ?
Je ne comprendrai pas seul : la maison garde ses secrets, et même,
complique encore plus les choses !
Je crois qu’il va falloir rester ici, me faire accepter des
corses et chercher… Aller voir les journaux, les actes de l’état civil et
peut être même les archives des tribunaux…parler aux insulaires…
Et s’il y avait d’autres descendants des Scandolla ? Des
lointains parents qui pourraient m’aider ? Mon aïeul est peut être parti
vivre au loin en Russie et a été oublié des siens… Quelqu’un aurait fait des
recherches généalogiques et aurait retrouvé notre famille… Il m’aurait envoyé
cette clef et l’acte de propriété pour que je me déplace… Il doit m’attendre
quelque part…
Mais la photo ??? Je me sens si las et si vieux d’un
seul coup…
Je la recherche dans les papiers et les photos éparpillés sur la
table… Je ne trouve qu’un petit miroir dans lequel danse la flamme des
bougies. Et je m’y vois à nouveau : vieilli, les cheveux blanchis, les
traits tirés, accentués de rides amères. Donc, j’ai tant vieilli à voyager
et à essayer de résoudre ces énigmes ? Mon état de fatigue
physique et psychologique se voit donc tellement sur mon visage ?
Peut être aurait- il fallu laisser dormir ces vielles histoires
et ces prétendus secrets de famille ?
yveline
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