|
Bridge Island
Sur cette île, vous ne trouverez pas de dentiste,
n’oubliez donc pas de bons dentifrices et des brosses à dents efficaces. Vous ne
trouverez pas non plus de partenaires pour vos parties de carte, le soir à la
veillée. Munissez-vous donc d’objets permettant les activés solitaires, soyez
individualistes, sans aucun remord. L’île des ponts est un leurre, vous êtes
seuls sur ces terres arides et ces passerelles faites de rochers ne sont que le
fruit du hasard, que les scories d’un volcan aujourd’hui disparu. On suppose
qu’épuisée par ses explosions intempestives, la montagne rugissante s’est tue à
jamais dans une ultime démonstration de sa violence, saupoudrant la mer
d’isthmes et de replats.
Méfiez-vous de cette apparente platitude traîtresse aux marées
montantes. Les plates formes herbeuses sont de fait sujettes à un isolement
totale lorsque la mer est haute. Vous vérifierez donc à votre montre- si vous
avez eu le soin de vous en munir- de respecter scrupuleusement les flux et
reflux afin de ne pas être prisonnier dans le nord de l’île si vous décider
d’installer au sud votre cahute protectrice et son hamac ; Il semble
judicieux plutôt qu’une montre assujettie aux aléas de la technologie, de
construire, avant toute chose, un cadran solaire qui vous renseignera sur un
timing adéquat. Les jours de tempêtes, vous limiterez vos déplacements au petit
terrain herbeux qui jouxte la cabane et qui suffira en ces temps difficiles à
votre bonheur.
Bridge Island n’est pas la plus hospitalière des îles de
l’archipel, mais l’absence d’êtres humains ne vous rendra pas misanthrope et les
quelques animaux, reliquats d’un lointain naufrage, seront d’agréables
compagnons et un excellent garde- manger. Raminagrobis, le chat, a tendance à
l’embonpoint, vous le mettrez donc au régime régulièrement. Le surpoids ne sera
pas votre problème, l’alimentation, sur l’île, y est frugale mais néanmoins
suffisante pour l’activité limitée que permettent les lieux.
pascale
|
|
Twin Island
En 1432, un bateau chargé d’une cargaison d’esclaves venant du
cercle polaire, croisait au large de Twin Island. Les cieux cléments ne
résistèrent pas aux gutturaux chants inuits. Le ciel bleu devint noir et l’océan
rageur se déchaîna, ne laissant comme seul survivant qu’un petit homme brun de
race esquimaude nommé Atahualpa Youpankiglou.
L’homme, habitué aux déserts glacés et aux températures
réfrigérantes, d’abord heureux d’échapper à son triste sort de nègre
groenlandais, fut ensuite surpris par l’opulence des frondaisons et la
moiteur du climat. Engoncé qu’il était dans son vêtement douillet parfaitement
inadapté en ces lieux, il jeta un coup d’œil sur sa droite, puis sur sa gauche
et sans ambages décida de se dépoiler, premier geste significatif de sa liberté
retrouvée.
Après avoir remercier les dieux de l’avoir choisi comme dernier
reliquat de son espèce, il ouvrit les yeux sur son hébergement forcé. Il cligna
plusieurs fois des paupières car étrangement à une encablure de là, se dressait
dans un effet miroir, la réplique exacte du lieu où il séjournait, La nature
avait monstrueusement engendré deux îles identiques. L’effet était si
stupéfiant qu’il s’attendait sur l’autre rivage à voir gesticuler un homme petit
comme lui et aussi parfaitement nu. Ne voyant rien s’agiter, il en conclut qu’il
irait visiter plus tard les excentricités de mère nature consistant à créer deux
fois la même chose.
Il rangea sous un rocher, ses vêtements désormais obsolètes et
repoussant les lianes exhubérantes, il s’enfonça dans l’exotisme proliférant de
l’île.
La végétation était si dense, l’air saturé de tant
d’humidité que Atahualpa était dans l’obligation de marcher à tâtons et
d’avancer précautionneusement dans cet enchevêtrement malsain.
Mais la lumière était si parcimonieuse que son pied fut
pris par traîtrise et qu’il s’étala de tout son long dans l’humus gorgé d’eau.
Sa cheville gauche était prisonnière de la lanière d’un sac à dos de la marque
du « Petit campeur ». Aucun anachronisme ici, en 1432 déjà, la marque, ami des
scouts et autres louveteaux oeuvrait en faveur d’un camping heureux. Sa
surprise ne vint donc pas de l’étiquette mais de l’objet lui-même qui laissait
entrevoir la possibilité d’une vie sur l’île. C’est alors, sur ces conjectures
optimistes que H.Y entendit un bruit de branchages et levant la tête vit des
yeux qui le fixaient. Il pariât pour le propriétaire du sac qui venait chercher
son patrimoine égaré. Mais le monstre qui se dessina en silhouette grâce à
un rayon de soleil filtré par la canopée faillit lui faire perdre une raison
déjà défaillante. Une femme à deux têtes s’avançait inexorablement vers le petit
bonhomme. Des siamoises pour des îles jumelles. L’ex esclave ne goûtât pas la
plaisanterie. Il faut dire que Atahualpa était homosexuel, fait commun chez les
Inuits, et raison pour laquelle l’apparition de deux femelles en une ne se
plaçât pas d’emblée sur un terrain érotique
Donc : Femmes 35 ans ; cheveux blonds tirant sur le cendré ;
yeux bleus et verts selon qu’on regarde à gauche ou à droite ; bouches pulpeuses
; tailles : petites voir naines ; particularités : 2 têtes, 4 bras, itou pour
les jambes entraînant coordinations difficiles ; disent s’appeler Mistinguett et
Roudoudou ; profession affichée vedettes de music- hall et plus si affinités. Le
naufragé, regrettant sur le champ sa récente solitude et comprenant que les
siamoises ne lui apporteraient que des complications, décida comme tout homme
qui se respecte de prendre la tangente. Reculant un pied après l’autre, il se
fondit peu à peu dans la forêt impénétrable, renonçant à un affrontement qui lui
serait, il en était certain, définitivement fatal.
Pascale
|
|
CHILLY ISLAND
Je m’appelle Mikaël Lafontaine, botaniste, chercheur au
département Biologie de l’université des Sciences à Montréal et évangéliste le
dimanche pour la congrégation de l’Eglise des Saints du Dernier Jour. Je
soupçonne un petit problème de secrétariat lors de la réservation de mon vol par
l’université.
Censé me rendre sur Leaf Island afin d’en étudier une variété de
petit buis prisée pour ses vertus curatives, quelle ne fut pas ma surprise
lorsque peu avant l’atterrissage, les passagers et le personnel de bord
commencèrent à se dévêtir et se coller les uns aux autres, saisis d’une espèce
de frénésie amoureuse totalement indécente. Moi-même, afin d’oublier les
vagues de brusque chaleur parcourant mon corps en ondes de plus en plus
irrépressibles, me suis muni de mon chapelet et ma bible pour me concentrer sur
les Saintes Ecritures. Mon Dieu, que diraient Marie-Sophie et nos huit enfants
s’ils me voyaient à cet instant ? Quelle disgrâce !
J’ai beau marmonner mes prières en une incessante litanie, j’ai
de plus en plus chaud, de plus en plus soif, je respire avec peine, mon ventre
est brûlant et je sens mon sexe durcir, durcir…. Seigneur ne m’abandonnez pas,
je vous en conjure, donnez-moi la force de résister! A la descente d’avion,
de magnifiques créatures, vêtues en tout et pour tout de colliers de fleurs
odorantes ne cachant rien de leur plantureuse anatomie, sont venues nous
accueillir.
J’ai énergiquement refusé de me dénuder malgré leur impertinente
insistance et leurs caresses audacieuses. La chaleur est étouffante, l’air
est saturé du parfum des corps étroitement mêlés, je remets mon bonnet de
fourrure québécois afin d’échapper aux soupirs, aux rauques gémissements, aux
râles de plaisir. Muni d’un dérisoire dépliant fourni à bord, je me fraye un
chemin parmi les corps enlacés, vers une zone de buissons ardents indiquée par
la carte.
Des buissons ardents ! Enfin un signe du ciel ! Je reprends
espoir. Moise, Moise, toi qui conduisis mes frères hors d’Egypte, ne peux-tu
m’aider à sortir d’ici ?
Me dirigeant précautionneusement vers les buissons ardents,
j’essaie d’éviter les couples, les trios, les groupes intimement enlacés
s’adonnant frénétiquement à leurs ébats torrides. De langoureuses voix
alanguies par le plaisir m’interpellent, m’invitant à me joindre aux
réjouissances et je serre fort mon chapelet salvateur que j’égrène de mes doigts
pour oublier la chaleur qui irradie mon ventre. J’ai beau implorer le ciel,
Dieu tout puissant et tous les saints des derniers jours, mon sexe énorme,
comprimé dans le pantalon de toile fourni par l’université, ne me laisse pas en
repos. Seigneur aidez-moi ! Les yeux clos, bouchant mes oreilles pour ne
point succomber à l’appel des sirènes, je trébuche soudain et chute sur un
arrosoir oublié là par un jardinier sans nul doute parti cultiver aux environs
quelque capiteuse fleur généreusement ouverte.
Alors brusquement, les cieux s’obscurcirent, le sol se mit à
trembler et la terre s’ouvrit en un sinistre craquement. Dans un
assourdissant éclat de tonnerre, un éclair aveuglant déchira les nues embrasant
subitement l’île d’une brève clarté toute divine. De l’arrosoir s’échappèrent
de lourdes volutes d’une épaisse fumée sombre à l’âcre parfum.
Puis ce furent les ténèbres. Alors, un homme gigantesque en
émergea, barbu halluciné aux cheveux flamboyants, les yeux hagards et qui d’une
voix de stentor s’adressa ainsi à Mikaël Lafontaine.
‘‘- Qui es-tu donc toi misérable petit homme pour oser déranger
Moïsor ? Ignores-tu que quiconque trouble mon repos paiera un lourd tribut
?’’ ‘‘- Moïse Moïse, c’est moi Mikaël Lafontaine, ne reconnais-tu donc pas en
moi un fervent serviteur de notre seigneur ?’’ ‘‘- Mais de quel seigneur
parles-tu donc ?’’ tonna l’étrange créature dont les bras puissants en s’agitant
firent par deux fois jaillir la foudre. Celle-ci frappant avec fracas, enflamma
un bosquet voisin, délogeant un couple qui prit la fuite en hurlant, chacun
encore intimement soudé à l’autre. ‘‘- Pour rencontrer mon frère Moise,
l’illuminé de service, c’est dans le Sinaï qu’il aurait fallu aller mon gentil
petit curé.
Ici point de Moïse mais Moïsor, grand démiurge de Chilly
Island, number one au panthéon des dieux de la luxure, grand amateur de
plaisirs, de baies de buissons ardents et de petits évangélistes timides !
Allons ôte donc ses hardes ridicules que nous goûtions ensemble l’hospitalité de
Chilly Island !’’
Sa voix rauque et puissante glaça les cascades de lait, les
sources tarirent, les fleurs fanèrent et les oiseaux se turent, l’air déjà lourd
et saturé devint brûlant et pestilentiel.
Mikaël Lafontaine, hébété, tremblant, à bout de frayeur et de
peine, regarda avancer vers lui l’improbable prophète, porta une main à sa
bouche et, s’affaissant, perdit connaissance.
anne
|
|
HONEY ISLAND
Depuis ce matin, jamais le Pacifique ne porta aussi bien son
nom. Paisible, immense, majestueux. Pourtant, la nuit dernière il s’est
déchaîné.
Une terrible tempête a sévi envoyant par le fond le Banana
Island Cruiser, splendide yacht à bord duquel Monica et moi passions une lune de
miel idyllique en compagnie de quelques amis.
La houle furieuse nous a rejetés sur cette île au nom tout de
douceur. Une fois franchie la barrière corallienne pour échapper aux bans de
requins, nous avons abordé l’ile par le nord. C’est un minuscule îlot, juste
un point à peine visible sur les cartes marines.
Les contours odorants en sont de miel. Un nectar liquide et
parfumé, jaune ambré mais terriblement trompeur. Dès les premiers pas en effet
sur cette nappe mordorée, vous vous enfoncez, vous engluez inexorablement.
L’atmosphère est saturée de l’odeur suave et entêtante du miel surchauffé par un
soleil impitoyable.
Des myriades d’énormes mouches poisseuses, avides de sucre,
d’agressives guêpes géantes, de féroces abeilles et maints autres insectes
inconnus de nos régions tempérées grouillent ici, bourdonnant sans répit et
collant lourdement aux visages, aux bras, aux jambes.
Assaillis de toutes parts, nous progressons difficilement, nous
aidant maladroitement de quelques planches réchappées du naufrage. Lorsque
enfin nous émergeons de cette insupportable étendue cireuse, c’est pour pénétrer
une zone d’un rouge sombre, épais, aux écœurants effluves de
caramel.
Partout, d’émouvantes silhouettes, des restes de corps figés,
torturés, comme calcinés piégés à jamais dans le caramel séché. Bref aperçu de
l’enfer, c’est un véritable cauchemar, un Pompéi des tropiques. Au cœur
de l’île, une énorme bouche aux pulpeuses lèvres rouge vermillon susurre sans
relâche:
‘ Honey, honey, bienvenue chéri, welcome to Honey Island, viens
chéri, ne sois pas farouche, viens m’embrasser.’ Ne surtout pas approcher
cette envoûtante bouche charnue qui nous engloutirait d’un coup, d’un seul !
Nous avons trouvé refuge sur la barre verticale du L de Island,
que nous avons escaladée avec peine, gênés dans notre ascension par les strates
de sucreries incandescentes dont nous sommes recouverts. Là, accrochés en
grappes poignantes, épuisés, fiévreux, le visage et le corps brûlants, nous
avons décidé d’attendre la nuit pour tenter une sortie.
Peut-être alors ces lèvres gargantuesques se tairont-elles
enfin.
anne
|
| |
|
|